Quelqu’un peut-il vérifier si Robert Smith va bien ? Habituellement, l’angoisse est considérée comme une caractéristique qui s’atténue avec l’âge, surtout lorsqu’il s’agit de musique. C’est fondamentalement un cliché pour les icônes goth, emo et punk qui se tournent vers le folk, le jazz ou les tournées de livres alors que leurs cheveux commencent à grisonner et que leur feu juvénile et rebelle se refroidit lentement. Pas M. Smith, cependant, dont les cheveux sont toujours aussi noirs de jais et dont l’écriture reste profondément et existentiellement angoissante. Chansons d’un monde perdule premier nouvel album de The Cure en 16 ans. Heureusement, la tristesse lui va toujours aussi bien.
Et, vraiment, qui peut reprocher à Smith de se sentir moins que content ? D’horribles conflits internationaux ne font que s’intensifier, le Covid-19 continue de persister et, au moment de la publication de cette revue, l’Amérique fait face aux conséquences d’une journée électorale particulièrement chargée. (Vous vous sentez sombre à cause de tout cela ? Cet album est fait pour vous !) Par une journée nuageuse, on peut certainement avoir l’impression de vivre dans un monde perdu ayant désespérément besoin d’une chanson ou deux.
Même si Smith évite d’être trop précis sur ce qui a exactement rendu notre monde si perdu, s’abstenant de grandes déclarations politiques ou de références ouvertement d’actualité, la profondeur de la terreur existentielle du disque correspond certainement à son titre morose. Chansons d’un monde perdu est un exorcisme imposant au rythme glacial qui offre simultanément une catharsis et rend le poids du monde encore plus écrasant. Pas trop mal pour un groupe qui approche à grands pas de son 50ème anniversaire.
L’ouverture de l’album, « Alone », qui sert fonctionnellement de réintroduction officielle de The Cure, établit un ton si morne dès le début. Après un long moment, Désintégration-esque intro, la première strophe de Smith, inspirée du poème « Dregs » d’Ernest Dowson, déplore :
C’est la fin de chaque chanson que nous chantons
Le feu s’est réduit en cendres et les étoiles se sont obscurcies par les larmes
Froid et effrayé, les fantômes de tout ce que nous avons été
On trinque avec la lie amère, à notre vide
C’est une note assez désespérée pour commencer, et les seuls fragments de soulagement que les sept morceaux suivants parviennent à trouver viennent de l’acceptation de l’immensité insurmontable du vide. « Warsong » déclare qu’il n’y a « aucun moyen de s’en sortir/aucun moyen pour nous de trouver un chemin vers la paix », « I Can Never Say Goodbye » trouve Smith racontant la nuit du décès de son frère, et « Done:NoDrone » est à une perte de mots alors qu’il se précipite pour trouver une dernière chance de bonheur. Voilà pour ne pas se soucier si lundi est bleu…